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Sarcelle d'hiver (Anas crecca)
Fig. 1 - Piet Munsterman (Saxifraga)
Fig. 1

Sarcelle d'hiver, Anas crecca (Linné, 1758)

Classification (Ordre, Famille) : Ansériformes, Anatidés

Description de l'espèce

La Sarcelle d'hiver se distingue des autres espèces de canards par sa petite taille, sa silhouette svelte et légère et son vol rapide. Le mâle adulte a la tête brun noisette avec un large bandeau vert, ourlé d'un trait crème qui souligne l'œil, descend jusqu'à la nuque et vers l'avant jusqu'à la base du bec. Corps et dos paraissent gris clair de loin avec une double bande, blanche en haut et noire en bas, le long de la bordure de l'aile pliée (scapulaires). Poitrine beige très clair ponctuée de petits points noirs. Triangle jaune vif bordé de noir sous la queue. Pattes et bec gris clair à gris foncé. Miroir alaire vert métallique. La femelle adulte est uniformément marron clair sur le dos et les côtés avec des marbrures plus claires, un léger sourcil beige clair, la gorge et le ventre blanc ou beige pâle. Miroir alaire vert métallique. Les mâles en éclipse et les juvéniles ressemblent aux femelles adultes.

Le plumage d’éclipse peut s’acquérir à partir de juin jusqu’en août chez les mâles et se poursuivre jusqu’en septembre chez les femelles. Le plumage adulte (nuptial) s’acquiert de septembre jusqu’au printemps chez les mâles.

Le vol est particulièrement vif avec des battements d'ailes très rapides et légèrement sonores, et une grande aptitude à de multiples crochets successifs.

Le cri des mâles correspond à un sifflement flûté mélodieux et aigu sur deux syllabes monotones, celui des femelles est plus varié, de type cancanement rapide (Tous les oiseaux d’Europe, J-C ROCHÉ, CD 1/plage 47).

Longueur totale du corps : 34-38 cm. Poids : 250 à 450 g, les mâles sont plus lourds que les femelles.

Difficultés d’identification (similitudes)

La femelle est semblable à celle de la Sarcelle d’été (Anas querquedula) mais cette dernière possède un sourcil clair plus contrasté et des taches claires au niveau des lores. Sur l’eau, elle est légèrement plus grande et plus claire, et ne possède pas de miroir alaire vert métallique.

Répartition géographique

Deux sous-espèces sont répertoriées : la sous-espèce nominale dans le Paléarctique et A. c. nimia dans les îles Aléoutiennes, à l’Ouest de l’Alaska.

En France, la Sarcelle d'hiver appartient aux populations ouest-paléarctiques dont l'aire de reproduction s'étend de l'Islande à l'Oural, et de la frange septentrionale du continent à la latitude des rivages nord de la Méditerranée. Son aire d’hivernage recouvre les pays ouest-européens, l’ensemble de la bordure méditerranéenne, et de façon plus sporadique le Maroc, les zones tropicales du Sénégal, du Mali, du Tchad, du Soudan et de l'Ethiopie.

Les Sarcelles d'hiver hivernant dans notre pays appartiennent à deux populations biogéographiques plus ou moins "étanches" entre elles : celles qui stationnent sur la côte atlantique, sur la Manche et dans les zones humides de la moitié ouest du pays sont plutôt originaires des Îles britanniques, de l'Islande et de la frange nord-ouest de l’Europe jusqu'à la péninsule de Mourmansk. Celles qui stationnent sur la côte méditerranéenne sont plutôt originaires des pays de l’Europe centrale jusqu'à l'Oural, la Sibérie occidentale et l'Ukraine. La région des Républiques baltes et des pays scandinaves (en période de reproduction), ainsi que l'Espagne (en période d’hivernage) constituent des zones de chevauchement et d'échanges entre ces deux populations dont l’importance a été démontrée par GUILLEMAIN et al. (2005).

Rare, la reproduction de la Sarcelle d'hiver en France concerne essentiellement la Sologne et le littoral de la mer du Nord et de la Picardie, le Perche, la Lorraine, la Bretagne. Elle est très peu abondante et seulement occasionnelle ailleurs, au nord d'une ligne Bayonne - Genève, et jusqu'à 1100 m d'altitude dans le Cantal (DUBOIS et al., 2000).

En période hivernale, les Sarcelles d'hiver sont surtout réparties sur les zones humides des départements littoraux atlantiques et méditerranéens. De fortes concentrations stationnent sur certains quartiers d'hiver traditionnels dont les 10 plus importants abritent 60 à 70 % des individus hivernants en France (Camargue, Val de Loire, étangs de la Forêt d'Orient, Moëze en Charente-Maritime, lac de Grand Lieu, St Denis du Payré en Vendée, étangs des Landes, bassin de la Loire, étang du Der, Brenne, marais d'Orx, Barthes de l’Adour, lagunes languedociennes). La part de la population hivernante restante se répartit en groupes de quelques milliers, centaines ou dizaines d’individus sur l’ensemble du territoire (DECEUNINCK et al., 2007). Les mâles sont généralement 2 à 3 fois plus nombreux que les femelles sur les plus grands sites (TAMISIER, 1972).

Ecologie

L'habitat de reproduction est un marais ou une zone inondée de faible profondeur, en partie fermé par la végétation émergente et par la végétation de bordure, éventuellement arborée. La nourriture doit être disponible dans la vase ou les 10 premiers centimètres d'eau. Le niveau d’eau ne doit pas varier brusquement durant la période de nidification, ce qui explique l’absence de l’espèce d’une grande partie des marais drainés de l’ouest, où les secteurs d’eau douce subissent des variations trop importantes des niveaux d’eau, au gré de la sécheresse et/ou d’une évacuation importante de printemps.

L'habitat hivernal est double car les exigences diffèrent selon le jour et la nuit :

- Le jour, les sarcelles forment des concentrations pouvant atteindre quelques centaines à plusieurs milliers ou dizaines de milliers d’individus sur des zones, les « remises », où ont lieu principalement des activités de confort (sommeil, nage, toilette). Cet habitat (étang, lac, marais) est caractérisé par son étendue, l'absence de végétation émergente (contact visuel entre tous les individus), et par un faible dérangement (sécurité). Les principales remises diurnes sont généralement classées en Réserves Naturelles et en Réserves de chasse et de faune sauvage.

- Le soir, elles se dispersent sur des marais peu profonds, les « gagnages », où elles s’alimentent toute la nuit. Cet habitat est caractérisé par un niveau d’eau inférieur à 20 cm et une forte abondance de ressources alimentaires (4 à 17 kg/ha de graines sur le marais d'Yves en Charente Maritime, 50 à 380 kg/ha en Camargue).

En Camargue, les habitats alimentaires font l'objet d'une exploitation tournante au cours de l’hivernage, les marais doux abritant en moyenne la moitié des sarcelles, alors que les rizières, marais saumâtres et salins accueillent les autres individus (PIROT et al,. 1984).

Pendant la majeure partie de l'hiver, les deux types d'habitats (remises et gagnages) doivent être suffisamment proches (moins de 20 km environ) pour permettre aux oiseaux de passer de l'un à l’autre sans dépenser trop d'énergie (TAMISIER & DEHORTER, 1999). Le retour des zones de gagnage se fait à l'aube sur les remises de la veille.

Comportement

La migration post-nuptiale débute dès la fin juillet et se poursuit jusqu'en novembre-décembre (TAMISIER, 1991). La migration prénuptiale débute fin janvier pour se poursuivre jusqu’à la mi avril (ORNIS, 2001). Des variations régionales sont décrites, comme en région méditerranéenne, où la migration prénuptiale semble plus précoce (TAMISIER & DEHORTER, 1999 ; GUILLEMAIN et al., 2006).

Durant l'hiver, les sarcelles adoptent un ensemble de comportements qui a été particulièrement étudié en Camargue (TAMISIER & DEHORTER, 1999). En début de saison (août à octobre), alimentation et sommeil prédominent, favorisant l'accroissement de la masse corporelle ; en milieu de saison, nage et parades nuptiales occupent jusqu'à 4 heures par jour et à la fin décembre, 80% des individus sont en couple, au détriment du sommeil et de l’alimentation ; en fin de saison (janvier à mars), sommeil et alimentation redeviennent prioritaires en réponse à des exigences nouvelles liées à la migration de printemps et à la reproduction. Cette stratégie d’hivernage qui permet aux sarcelles d'hiver d'augmenter leurs chances d'avoir de bonnes conditions corporelles en fin d'hiver, pourrait être différente selon les quartiers d'hiver (TAMISIER & DEHORTER, 1999 ; BOOS et al., 2005).

Sur les grands quartiers d’hiver, une remise et les gagnages correspondants constituent une "unité fonctionnelle", espace géographique exploité par un groupe social où chaque individu peut répondre à l’ensemble de ses exigences spatiales et alimentaires. Dans le modèle des unités fonctionnelles, le grégarisme diurne permet une surveillance collective vis-à-vis des prédateurs aviens pour une protection individuelle maximale. L'alimentation nocturne, conséquence de ces exigences diurnes, est facilitée par le mode de sélection tactile de la nourriture (TAMISIER & DEHORTER, 1999).

En milieu littoral soumis aux marées, les alternances d’activité des oiseaux sont d'abord dictées par le rythme tidal qui favorise à des heures régulièrement variables l’exploitation de ressources alimentaires nouvelles, abondantes et prévisibles (MAHEO & CONSTANT, 1971).

Dans la majorité des cas, les exigences spatiales et alimentaires se doublent d'une exigence de sécurité.

Pendant les périodes de migration, comportements et distribution sont alignés sur les exigences énergétiques des individus qui doivent pouvoir trouver 1) des ressources alimentaires abondantes pour renouveler le stock de leurs réserves énergétiques et 2) un maximum de sécurité pour accéder librement à ces ressources et dormir (phase d'économie d'énergie maximale). Le temps d’alimentation diurne des sarcelles augmente ainsi de manière considérable pendant cette période, d’autant plus lorsque le dérangement par les prédateurs est moindre (ARZEL et al., 2007). Les exigences d'ordre social passent au second plan, d’autant que les oiseaux sont pour la plupart déjà appariés. Les habitats sont alors à la fois ceux de la période hivernale et des habitats de superficie moindre, pourvu que nourriture et sécurité y soient suffisants.

Reproduction et dynamique de population

En France, la période de reproduction commence dès le début du mois d’avril avec l’installation sur les sites de nidification, et se termine fin août (ORNIS, 2001).

Le nid est construit au sol, caché sous des touffes d'herbe ou un buisson, le plus souvent près de l’eau avec un diamètre extérieur de 21 cm, un diamètre intérieur de 13 cm et un creux de 6 cm. Il est garni de feuilles, tiges et duvet par la femelle. La reproduction se fait généralement en couples isolés (CRAMP & SIMMONS, 1977). La ponte unique a lieu en moyenne de la mi-avril à début juin (fin mars à fin juin pour les extrêmes) et contient de 8 à 11 œufs. Le succès à l'éclosion est mal connu. Seules les femelles assurent la couvaison (21-23 jours), l'envol des poussins nidifuges a lieu 25-30 jours plus tard (mi-avril à mi-août). Une ponte de remplacement est possible s'il y a perte des œufs. La maturité sexuelle est atteinte dès la première année.

Les taux de survie estimés par analyse simultanée des recaptures et des reprises de bagues en Camargue entre 1953 et 1987 sont faibles : 0,52 et 0,31 chez les mâles adultes et juvéniles, 0,49 et 0,32 chez les femelles adultes et juvéniles.  Ces valeurs méritent une réactualisation car entre 1953 et 1987, la période d’ouverture de la chasse était plus longue qu’aujourd’hui. Les prélèvements annuels, estimés à partir de ces taux de survie, du taux de retour des bagues, et du taux de « crippling loss » (part des animaux tués à la chasse et jamais retrouvés par les chasseurs), sont de l’ordre de 36 et 51% chez les mâles adultes et juvéniles, et de 30 et 47% chez les femelles adultes et juvéniles. Le taux de croissance estimé par capture-recapture est de l'ordre de 0,82, ce qui devrait correspondre à un déclin important de la population (DEVINEAU, 2003), alors que les recensements semblent indiquer une tendance à la baisse pour la population concernée (population ouest Méditerranéenne ; Delany & SCOTT, 2006).

L'espérance de vie d’un adulte (âgée d’au moins1 an) est de 9-10 ans. Cependant dans les années 1970, l'âge réel moyen était inférieur à 2 ans en Camargue compte tenu de la forte mortalité de l'espèce (essentiellement due à la pression de la chasse) (TAMISIER, 1972).

La longévité maximale observée grâce aux données de baguage est d’environ 20 ans (Staav & Fransson, 2006).

Régime alimentaire

L’alimentation pendant la période de reproduction est à base de proies animales (petits mollusques et crustacés, larves et imagos d’insectes aquatiques). En période hivernale, la Sarcelle d’hiver consomme des graines de plantes palustres (scirpes, potamots, myriophylles, soudes, salicornes, polygonum, echinochloa) sélectionnées par leur taille : 1,7 mm de diamètre en moyenne (0,5 à 2,1 mm), mais conserve cependant une proportion de proies animales significative dans son alimentation (HARGUES, 2002).

La recherche alimentaire se fait de préférence à pied ou à la nage en filtrant la vase à des profondeurs d’eau inférieures à 10 cm, mais peut s’effectuer plus rarement dans une eau de 15-20 cm de profondeur (TAMISIER & DEHORTER, 1999).

Quelques habitats de l'Annexe I de la Directive Habitats susceptibles d'être concernés

1130 - Estuaires (Cor. 13.2)

1150*- Lagunes côtières (Cor. 21)

1160 - Grandes criques et baies peu profondes (Cor. 12)

1310 - Végétation pionnière à Salicornia et autres espèces annuelles des zones boueuses et sableuses (Cor. 15.1)

1320 - Prés à Spartina (Spartinion maritimae) (Cor. 15.2)

1330 - Prés-salés atlantiques (Glauco-Puccinellietalia maritimae) (Cor. 15.3)

1340*- Prés-salés intérieurs (Cor. 15.4)

1410 - Prés-salés méditerranéens (Juncetalia maritimi) (Cor. 15.5)

1420 - Fourrés halophiles méditerranéens et thermo-atlantiques (Sarcocornetea fruticosi) (Cor. 15.6)

1430 - Fourrés halo-nitrophiles (Pegano-Salsoletea) (Cor. 15.72)

1510*- Steppes salées méditerranéennes (Limonietalia) (Cor. 15.8)

3170*- Mares temporaires méditerranéennes (Cor. 22.34)

Statut juridique de l’espèce

Espèce dont la chasse est autorisée, inscrite aux annexes II/1 et III/2 de la Directive Oiseaux, à l’annexe III de la Convention de Berne, à l’annexe II de la Convention de Bonn et à l’annexe C du règlement CEE/CITES.

Espèce listée en catégorie C1 (population du nord-ouest de l’Europe, et population de l’ouest de la Sibérie et nord-est de l’Europe/ Mer noire et Méditerranée) dans l’Accord sur les Oiseaux migrateurs d’Afrique-Eurasie (AEWA) : population supérieure à 100 000 individus, susceptible de bénéficier dans une large mesure d’une coopération internationale.

Présence de l’espèce dans les espaces protégés

En période de reproduction, la population nicheuse de sarcelles d'hiver est concentrée sur une cinquantaine de sites dont la moitié sont partiellement désignés en ZPS : Etangs de Sologne (également en partie APB ; Loir-et-Cher), Boucles de la Marne (Seine et Marne) et Basses Vallées du Cotentin et Baie des Veys (Manche), pour les plus importants en terme d’effectif nicheur. En hivernage, les deux premiers sites désignés en ZPS sont la Camargue (également en partie RNN) et les marais entre Crau et Grand Rhône. Les ZPS de la Loire Aval, les Lacs du Der et de la Forêt d’Orient (également réserves de chasse) figurent également parmi les sites d’hivernage principaux de la Sarcelle d’hiver.

Etat des populations et tendances d'évolution des effectifs

Le statut de conservation de l’espèce est provisoirement considéré comme favorable à l'échelle européenne ; la tendance d’évolution de la population hivernante est à la hausse dans la partie est de la zone Méditerranée-Mer Noire et depuis 1975 dans la zone nord-ouest Européenne. Elle semble en déclin dans la partie ouest de la zone Méditerranéenne (DELANY & SCOTT, 2006). La population globale ouest-paléarctique est estimée entre 1 250 000 et 1 875 000 (wetlands International, 2006).

La Sarcelle d'hiver est considérée en France comme rare en période de reproduction et à surveiller en période hivernale. Les effectifs nicheurs, estimés entre 500 et 1 000 couples en 1990 (DEHORTER & ROCAMORA in ROCAMORA & YEATMAN-BERTHELOT, 1999) et entre 200 et 500 couples dans les années 1995 à 2000 (BIRDLIFE INTERNATIONAL, 2004), semblent en baisse depuis les années 1960 (DUBOIS et al., 2000).

En hiver, les effectifs français dénombrés à la mi-janvier par le réseau Wetlands International-France (deceuninck et al., 2007) varient sensiblement autour d'une moyenne légèrement supérieure à 100 000 oiseaux depuis 1997, avec des valeurs maximales de 170 000 en 1982 et 135 000 en 2001. Les vagues de froid engendrent une migration de fuite et les effectifs peuvent alors tomber à 22 000 (1987). Les dénombrements effectués par le ROEZH (Réseau Oiseaux d’Eau & Zones Humides) aboutissent à des estimations voisines, de l’ordre de 80 000 – 100 000 individus en décembre ou janvier, sur la période 1990-2000 (FOUQUE et al., 2005), soit le 2ème canard le plus abondant en France en hiver après le colvert.

Les tendances sont estimées à la hausse à l’échelle nationale depuis 1988, faisant suite à un fort déclin durant les hivers froids de 1985 et 1987 (Deceuninck & Maillet, 1998, FOUQUE et al., 2005b). Cependant, des variations peuvent être observées selon les régions biogéographiques : les oiseaux hivernant sur la façade atlantique appartiennent à la population du nord-ouest de l’Europe dont la tendance est estimée stable ou en augmentation (1974-2002 et 1993-2002, WETLANDS INTERNATIONAL, 2006) ; la tendance de la population ouest méditerranéenne serait en déclin (DELANY & SCOTT, 2006). En Camargue, premier quartier d'hiver français sur la Méditerranée, TAMISIER (2004) estime la chute des effectifs régulière entre 1964-1965 et 2000-2001, avec un taux annuel de -2% soit une réduction proche de la moitié des effectifs depuis 1964. Cette estimation est basée sur des comptages aériens effectués de septembre à mars. FOUQUE et al (2005) parlent davantage d’une hausse entre les hivers 1987-1988 et 2002-2003 (+1.5% Camargue PNR et +4.3 % Camargue hors PNR), en se basant sur les effectifs dénombrés par le ROEZH de décembre à février.

Menaces potentielles

L’espèce est potentiellement exposée à deux menaces principales en France : les pertes et dégradations diverses d’habitats et la pression de chasse.

La perte des zones humides, habitat des Sarcelles d'hiver, est régulière en France : 40% en Camargue au cours des 50 dernières années (TAMISIER, 2004), 70 à 80% dans le marais poitevin, pour prendre deux exemples symptomatiques. La perte de surface du marais poitevin, terrain d’alimentation pour les canards stationnés en hiver dans la baie de l'Aiguillon s.l., a engendré une chute de plusieurs milliers de sarcelles d'hiver (DUNCAN et al., 1999). Les zones humides subissent aussi de fortes dégradations qualitatives par suite d’aménagements divers ou de pollutions directes et indirectes. Pour l'habitat de reproduction de la Sarcelle d'hiver, drainage, remblaiement, abandon et retournement des prairies sont cités parmi les causes principales de régression et de dégradation (DEHORTER & ROCAMORA in ROCAMORA & YEATMAN-BERTHELOT, 1999).

La chasse, apparaît également comme une source importante de mortalité pour la Sarcelle d'hiver. Outre le prélèvement direct, la chasse peut influer indirectement sur les oiseaux (dérangement) via leur condition corporelle, en augmentant la part d’activité liée au comportement « anti-prédateur » des Sarcelles sur les zones d’alimentation lorsque la chasse est pratiquée sur celles-ci. Ceci est particulièrement le cas entre août et octobre puis en janvier, lorsque les besoins énergétiques des oiseaux sont plus importants. (TAMISIER & DEHORTER, 1999 ; TAMISIER et al., 2003). Pendant les périodes où l’activité d’alimentation prédomine (août à octobre puis janvier à mars), elle est davantage exposée à la chasse sur le trajet entre zone de gagnage et zone de remise (TAMISIER, 2004).

Les prélèvements en France sont effectués en grande partie sur des oiseaux en transit migratoire vers le sud de l’Europe dont la majorité, en Camargue, restent moins de 10 jours (PRADEL et al., 1997). La dernière enquête nationale sur les tableaux de chasse (1998/1999) estime à 330 000 le nombre d’individus tués chaque année en France, dont 80% sur les espaces côtiers (MONDAIN-MONVAL & GIRARD, 2000). Depuis cette estimation, la fermeture de la chasse a été avancée du 20 février au 31 janvier, réduisant de ce fait le prélèvement. D’après SCHRICKE (1990 et 1996), les Sarcelles d'hiver représenteraient environ la moitié des tableaux dans les huttes de chasse de nuit.

L’espèce est également soumise au problème du saturnisme. L’interdiction de l’utilisation des munitions au plomb dans les zones humides, depuis l’ouverture de la chasse en 2006, devrait à long terme (un certain nombre de plombs de chasse sont présents au fond des plans d’eau, et sédimentent lentement) régler le problème.

Propositions de gestion

La conservation des populations de sarcelles mais aussi celles des autres espèces « d’oiseaux d’eau », passe avant tout par la protection des zones humides permanentes et temporaires. Plusieurs types de mesures peuvent être envisagées :

- Créer  des zones de quiétude assurant repos et alimentation (unité fonctionnelle complète), en priorité là où elles font défaut (le long des axes de migration…). Un zonage d’interdiction de tir au vol aux abords de ces zones peut être proposé. En concertation avec les associations de chasse, cette disposition est déjà effective dans plusieurs réserves. A titre d’exemple en Camargue, 70 à 80 % des Sarcelles d'hiver sélectionnent des remises qui bénéficient d'un statut de protection légal ou de fait.

- Maintenir et préserver les prairies humides (abandon du drainage, non retournement), cruciales comme zones de gagnage,

- Garantir une gestion hydraulique adaptée à l’espèce (en préservant des zones de marais avec un faible niveau d’eau plutôt qu'un vaste plan d’eau moins attractif,, surtout en hivernage. L’idéal est une mosaïque d’espaces prairiaux au milieu d’un réseau de mares de faible profondeur (<30cm).

- Conserver le caractère inondable des plaines alluviales de façon à augmenter la superficie des zones d’alimentation. Par exemple, une telle mesure appliquée dans les Barthes de l’Adour  a permis d’y augmenter significativement l’hivernage des oiseaux d’eau et de la sarcelle en particulier.

- Promouvoir la mise en place d'un PMA spécifique à cette espèce dans le but d’éviter des prélèvements excessifs

- Appliquer strictement et rapidement le protocole vague de froid (impliquant une fermeture temporaire de la chasse).

- Maintenir les dates de la fermeture de la chasse dès la migration prénuptiale (31 janvier actuellement).

Etudes et recherches à développer

Il conviendrait de rechercher à caractériser l'isolement des "populations" par analyse génétique, d’évaluer les paramètres démographiques (taux de survie, taux de prélèvements), d’évaluer les flux migratoires, de réaliser des analyses mensuelles des conditions corporelles sur plusieurs sites (quartiers d'hiver et étapes migratoires) et enfin de définir les stratégies d’hivernage de mini "populations" sur quelques sites clés et leur corrélation avec les stratégies de reproduction (à l'échelle populationnelle et individuelle). Il importe aussi de mieux comprendre les immigrations supposées d’oiseaux durant l’hivernage.

En termes démographiques, il est également nécessaire d'évaluer les tableaux de chasse annuels (puis mensuels) et par département, de les confronter aux données de dénombrements et de les intégrer dans les modèles de dynamique de population. Renforcer la coordination des dénombrements et étendre leur couverture aux zones de refuge climatique, mais surtout aux autres mois de l’année.

Enfin, de plus amples travaux seraient nécessaires pour déterminer avec précision la durabilité de l’exposition aux taux de prélèvements actuels.

Evaluer l’évolution du saturnisme depuis l’interdiction de l’utilisation du plomb de chasse en zone humide.

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Source: Cahiers d'habitat Oiseaux 

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